La pressée en 1888

Paul DEFRANC, La pressée, 18 octobre 1888. (Collection Geneviève Gauthier)

Ce cliché d’amateur qui montre une pressée à Fontaine, le 18 octobre 1888, est un tirage sur papier signé Paul Defranc. Paul Defranc, né à Dijon en 1851 et mort à Fontaine en 1902, était un célibataire, qui habitait, avec ses parents, la demeure appelée « la Charmille », 2 rue de la Source. Paul Defranc descendait d’une lignée d’avoués à la cour d’appel de Dijon. Son grand-père, Claude, avait acheté le domaine et à sa mort en 1854, il l’avait transmis à Charles Defranc, le père de Paul. Ce domaine était composé à l’origine de la maison où la famille passait l’été et de quelques parcelles de vigne en plants fins. Le joyau étant le clos séparé de la maison par la rue Collin-Barbier qu’il bordait à l’ouest. L’étendue des vignes avait gagné en superficie au cours des années et Paul Defranc s’en occupait avec un vigneron : Jean Falconnet. Il avait obtenu plusieurs récompenses pour ses vins rouges et blancs lors de concours à Paris dont une médaille d’argent à l’exposition universelle de 1900 dans la catégorie des vins ordinaires.

La photo met en scène cinq hommes en longs tabliers et casquettes, place de Siry, devant la maison du 20 rue des Templiers. À gauche, un homme tourne la roue d’un pressoir horizontal monté sur roues. Il presse les raisins qui sont enfermés dans une cage carrée en bois. Le jus se déverse sur une « maie » qui est un bac situé dans la partie basse du pressoir. Il s’écoule par une « goulotte » dans un demi-muid, le muid étant synonyme de tonneau. Le jus est ensuite transvasé dans une «tine». La tine est un demi-tonneau dont deux douelles plus longues que les autres, placées en opposition, sont percées pour former des anses ou oreilles, dans lesquelles est passé un bâton appelé « tineau ». L’ensemble repose sur les épaules de deux hommes qui avancent l’un derrière l’autre pour transporter le jus jusqu’au fût où il sera transvasé. Juché sur le pressoir, un homme tient un marteau à la main. Deux manches de « grappine » pour égaliser la vendange dépassent de la cage en bois. Près du chasse-roue, à l’angle gauche de la maison, deux « benatons » ou paniers à vendange sont posés sur une brouette. Ils sont accompagnés d’un petit baquet en bois appelé sapine.

Sigrid Pavèse avec la collaboration de Bruno Lautrey, Jean-Christophe Lornet, Jean-Louis Nageotte, Élisabeth Réveillon.
Site : www.lesamisduvieuxfontaine.org (Publication juin 2019)

Sortie annuelle des Amis du Vieux Fontaine à Saint-Apollinaire

Samedi 22 juin 2019
Rendez-vous à 14 h 30 devant l’église Saint-Apollinaire.

Inscription obligatoire avant le 8 juin 2019 via:

la page de contact ou en renvoyant le Bulletin d’inscription Sortie S. Apollinaire imprimé à l’adresse de l’association (voir la page de contact)

Histoire du village Saint-Apollinaire : la reine Clovis assure la construction de la chapelle initiale vers l’an 500, Saint Apollinaire de Ravennes, la domination par l’abbaye Saint Bénigne de Dijon ; l’exploitation des vignobles, la culture de céréales, l’arrivée de l’urbanisation et la devise en final à droite “Fay bien et laisse dire”. Hall de l’espace Tabourot des Accord, vitrail de Marcel Weinling (Cliché Roland Bugada).

Conférence

Dans le cadre des midis au musée, à l’occasion de la mise en place d’une borne tactile pour présenter le Grand reliquaire de saint Bernard conservé au musée d’art sacré de Dijon, Sigrid Pavèse échangera avec le public à propos de cette importante œuvre de l’art religieux du XIXe siècle.

Musée d’art sacré
17 rue Sainte-Anne
21000  Dijon

Jeudi 11 avril 2019 de 12 h 30 à 13 h 30

Gratuit – Réservation au 03 80 48 88 77

Le Suzon en 1962

Vue vers l’aval depuis le carrefour du boulevard Gallieni, sur Dijon, à gauche, avec le chemin Saint-Martin, à droite, sur Fontaine-lès-Dijon. Cliché Roger GAUCHAT. Bibliothèque municipale de Dijon. Est. 2101.

Le tronçon du Suzon que l’on aperçoit en 1962 est aujourd’hui couvert. Cette couverture était prévue avant la Seconde Guerre mondiale et les peupliers qui bordent les rives sont coupés dès 1942, mais le conflit modifie les priorités et la réalisation du chantier est repoussée à 1963[1].

Dans cette partie, le lit du Suzon n’est pas naturel. Le tracé originel longeait à peu près celui de la rue de Jouvence aménagée en 1884, dont on aperçoit le débouché à droite. Cette dérivation, datée  de 1524, avait été établie pour prévenir les inondations. Là, le Suzon reçoit les eaux ruisselées des secteurs aujourd’hui urbanisés de Dijon, Talant et Fontaine-lès-Dijon via les réseaux d’eaux pluviales, les avaloirs de rues et les débordements du réseau unitaire. Sa rive droite sert de voie publique. De la route d’Ahuy à la place du Général Estienne, c’est l’ancien chemin d’Ahuy, dénommé rue du Général Fauconnet en 1883.

Sur cette portion, le Suzon est enjambé par quatre passerelles en bois appelées planches ou planchottes dont une est visible sur le cliché et par un pont en pierre établi avec les matériaux de démolition du château de Dijon[2] pour remplacer, en 1895, le pont de bois situé en face de l’actuelle rue de la Houblonnière.

Après 1871, de nouvelles populations sont attirées par l’expansion économique de Dijon. Poussés par l’exode rural ou chassés de l’Alsace-Lorraine, des habitants misérables s’installent entre la rive droite du Suzon et la rue de Jouvence, dans des quartiers lotis par des Fontainois comme Étienne Gérard, qui crée une rue connue sous le nom de rue de la Révolte puis rue de Nouméa, devenue en 1928, la rue Léouzon-Le-Duc. Son cousin, Bernard Gérard, ouvre en 1885 la rue des Mûriers. De pauvres gens y vivent dans les baraques du bidonville appelé Nouméa et les masures de la cité des Kroumirs. Les anciens de Fontaine se souviennent avec effroi et compassion de ces quartiers malfamés avec leurs bistrots pour les soldats des casernes voisines et de la salle de danse de la rue des Mûriers, abritée dans un hangar en planches de 1881 à 1955[3].

[1] ICOVIL, Dijon et son agglomération, tome 1 p. 51 et 469-470.
[2] BAZIN (Jean-François), Le Tout Dijon, Dijon, Cléa, p. 475.
[3] Ibid., p. 658

La cabane du chemin des Vaux

Les vestiges de la cabane du chemin des Vaux (Cliché S. Pavèse, novembre 2018)

Lorsque les fondations d’une cabane, repérée sur le cadastre de 1851, ont été mises au jour, en novembre 2018, lors de la réfection du mur nord de l’enclos des Feuillants, nous avons interrogé Madeleine Festeau-Sicardet pour savoir si elle avait gardé le souvenir de cet édicule. Voici son témoignage.

« Mes souvenirs sont ceux d’une enfant de moins de 8 ans, naïve, insouciante et peu observatrice. J’ai appris le mot « cabotte » quand les vignerons et les médias ont mis l’accent sur les climats. Je ne connaissais pas d’autres cabanes ou cabottes à Fontaine. Dans la famille on parlait de celle-ci comme de « la cabane des Duperat » : on ne mettait pas de « monsieur » car les hommes entre eux, et les femmes aussi, allaient au plus court. Cet homme de Daix, célibataire, vivait avec sa sœur, de même situation[1]. J’admirais le verger[2] bien entretenu[3] par eux.
La cabane était à droite en entrant dans le verger, à quelques pas du chemin des Vaux. Elle était très rustique. L’eau de pluie coulait du toit. Elle était montée en laves et couverte de même. Le sol était en terre battue. Deux bancs pour s’asseoir, aussi en laves[4], garnissaient les murs de chaque côté. La cabane n’avait pas de porte mais l’ouverture était relativement large. Dans le fond, on apercevait un morceau de ciel car une pierre avait été enlevée ou était tombée. La cabane n’était pas très haute. Il me semble qu’une personne de grande taille aurait eu du mal à s’y tenir debout.
Je n’ai pas connu de cheminée. Cette petite attraction était sans doute ancienne. Le mur du fond, pas très haut[5], semblait avoir été élevé sur le mur d’enceinte du champ cultivé le long du chemin qui rejoignait, en haut, le Bois des Pères[6].
Ouverte côté nord, elle appartenait à tout le monde. À part un abri de mauvais temps, elle ne servait pratiquement à rien. Personne n’y entreposait quoi que ce soit mais on y mettait pour quelques heures la boisson et nos casse-croûte.
J’y passais du temps avec une petite cousine. C’était un endroit magique. La maison toute faite, comme un chalet, nous appartenait, à nous deux, pour jouer avec nos enfants imaginaires… Nos parents, au travail dans leur vigne, savaient où nous étions… De l’autre côté du chemin, en effet, était la grande vigne entretenue par mes parents qui a été arrachée vers 1968.
En passant un jour, après bien longtemps, je n’ai plus vu ni cabane, ni verger. C’était comme un trou. Elle manquait cette cabane… »

[1] André Duperat, né à Daix en 1909 était divorcé. Sa sœur, Berthe, cultivatrice, née en 1898, était célibataire.
[2] Aujourd’hui, le verger de Fontaine.
[3] André Duperat était arboriculteur.
[4] Pierres plates calcaires provenant en général de l’épierrement des sols.
[5] Indication possible d’un toit à une seule pente.
[6] Dans le parc Saint-Bernard.

Les vignes des Feuillants sous la Révolution

Au moment de la Révolution, les Feuillants[1] avaient une des plus importantes surfaces en vigne de Fontaine. En dehors de leur enclos, ils étaient à la tête, aux champs d’Aloux, d’une superficie de 2 journaux et six quartiers, ce qui en faisait le plus grand clos de Fontaine. Aux vignes de ce clos, s’ajoutaient un quartier aux Bois, 5 quartiers aux Crais Barbey, 3 quartiers aux Combottes et 3 autres aux Créots[2] soit, en tout, près d’1,5 hectares[3].  Après avoir constaté, au début du mois de juin 1790, que ces vignes, nationalisées le 2 novembre 1789, étaient complètement négligées et ainsi se détérioraient et perdaient de leur valeur, le maire de Fontaine, Bénigne Arlin, invite les religieux à les faire cultiver sans retard[4]. Les Feuillants répondent qu’ils refusent de continuer la culture de leurs vignes car ils n’ont pas pu les louer à un vigneron. Ils ont bien tenté de commencer à faire cultiver par eux-mêmes mais ils ont arrêté faute de ne pas récupérer l’argent avancé[5]. De plus, n’ayant rien reçu des pensions fixées par l’Assemblée nationale, ils n’ont déjà pas d’argent pour payer leur subsistance donc encore moins des ouvriers. Ils font donc abandon desdites vignes, non sans rappeler que la Nation s’en est emparée alors qu’elles avaient été acquises, en grande partie, grâce au fruit de leur épargne… Le district indique alors à la municipalité de les donner à bail. Mais qui voudrait louer des vignes dans un tel état à quelques semaines des vendanges s’interrogent les édiles de Fontaine ? Ces vignes n’ont pas été fossoyées, c’est-à-dire que rien n’a été prévu pour en replanter une partie, les empêchant ainsi de pouvoir se renouveler. De plus, les paisseaux (échalas) font défaut, et les coups de labour ou meille, du nom de la sorte de pioche utilisée, n’ont pas été effectués. D’après les estimations des experts municipaux, le préjudice s’élève à 186 livres[6]. Selon eux, la seule solution est de faire bêcher et enlever les mauvaises herbes au frais du trésorier du district, qui se remboursera de cette avance, avec l’argent provenant de la mise aux enchères des raisins sur pied, huit jours avant les vendanges[7]. Les archives n’ont pas conservé la trace de ces vendanges et, quelques mois plus tard, le 2 mars 1791[8], les vignes sont acquises aux enchères par un homme de lois dijonnais, Charles Alexandre Enguerrand. (Sigrid Pavèse)

[1] Archives départementales de la Côte-d’Or (ADCO) Q 838 7juillet 1790. Procès-verbal de l’état des vignes des Feuillants.
[2] À Fontaine : 1 journal = 34,28 ares et 1 quartier : 8,56 ares.
[3] ADCO Q 177 : Le directoire du district compte 6 journaux (2 hectares) pour les 6 parcelles, ce qui correspond à la déclaration des biens fournie par les Feuillants au bureau diocésain en 1786 (ADCO, G9). Le Directoire les estime à 1 625 livres 5 sols le 29 janvier 1791.
[4] ADCO), Q 838 : Extraits du registre de la municipalité de Fontaine-lès-Dijon, 2 juillet 1790, 3 juillet 1790.
[5] Ibid. Mémoire de ce qui est dû aux Feuillants par les administrateurs du district. : 180 L pour façon de vigne.
[6] Ibid. 7 juillet 1790.
[7]Ibid. 1er août 1790.
[8] ADCO Q 149 : Charles Enguerrand achète les 6 journaux de vigne appartenant aux Feuillants.

 

 

 

 

 

Le premier souvenir de la Guerre de 1914-1918 de Jeanne Lelièvre

Le premier souvenir de la Guerre de 1914-1918 de Jeanne Lelièvre1

« J’avais dix ans, et j’ai vu arriver aux Carrois un régiment qu’on appelait les tringlots. Ils conduisaient des chariots tirés par de beaux chevaux, réquisitionnés la veille sans doute. Il faisait très chaud en ce début du mois d’août et les bêtes avaient soif. Il était facile de les mener au puits mais elles étaient en sueur et l’eau glacée a été mortelle pour trois d’entre eux. J’en ai vu tomber un beau gris pommelé au milieu de la rue. J’ai pensé à son propriétaire qu’il avait peut-être quitté la veille. On les a conduits à la carrière des Portefeuilles où ils ont été enfouis dans la chaux : c’est mon premier souvenir de la guerre de 14. »

C’est ainsi que dans un manuscrit2 Jeanne Lelièvre raconte les premiers jours de la Grande Guerre. Les tringlots désignent les soldats de base de l’arme du train. Au début du conflit, la force de traction reste encore majoritairement celles des animaux de traits, surtout pour la logistique. En période de paix, les armées entretiennent un nombre réduits de chevaux. Avec la guerre, il faut réquisitionner. La petite fille pense aux propriétaires des chevaux car l’ordre de mobilisation du 2 août 1914 parvient au moment des moissons et, dans un village où la majorité des habitants vit encore de la terre, la réquisition des chevaux désorganise le travail et le transport, d’autant qu’il y a moins de bras, puisque les hommes valides partent. L’enfant, qui appartient à une famille de vignerons, est émue car elle connait l’attachement sincère des propriétaires à leurs animaux.
À Fontaine, en août 1914, ce sont les harnachements qui ont été réquisitionnés pour le service de l’artillerie, pas les chevaux. 31 harnachements comprenant harnais, objet de sellerie et ferrure ont ainsi été récupérés par l’armée française. Dès la mobilisation, le 3 août 1914, les cultivateurs furent tenus de fournir le fourrage (foin, paille, avoine) destiné à l’alimentation des bêtes. Ils le firent à hauteur de 11,5 tonnes si bien qu’au mois de décembre, il n’y avait même plus de paille pour le couchage des hommes en cantonnement à Fontaine. Il fallut en acheter. Quant aux chevaux, ils ont été réquisitionnés avec une voiture et parfois un conducteur à la journée ou à la demi-journée, d’octobre à novembre 1914, pour une batterie d’artillerie3.
Au cours du conflit, si le cheval disparaît rapidement des champs de bataille avec le progrès des engins motorisés, son emploi, dans la logistique, reste significatif car il est irremplaçable sur les terrains boueux ou accidentés pour transporter le ravitaillement, les munitions et tirer les pièces d’artillerie. Le cheval sert aussi à tracter les ambulances.
Pendant la Première Guerre mondiale, les conditions de vie pour les chevaux ont été difficiles sur le front où ils ont été décimés par l’artillerie, les gaz, les maladies et la faim. Le souvenir de Jeanne Lelièvre rappelle aussi que le cheval est un animal naturellement vulnérable. Les trois chevaux sont morts de coliques d’eau, causées par l’absorption trop rapide d’eau froide, alors qu’il faisait très chaud et qu’ils venaient de fournir un effort. En France, les chevaux ont ainsi payé un lourd tribut au cours des quatre années de guerre : plus de 750 000 bêtes ont perdu la vie pendant le conflit.