La bibliothèque des missionnaires, état actuel (photo Marie-Jo Leblanc).
S’ouvrant sur un panorama qui s’étend jusqu’aux contreforts du Jura, la bibliothèque des Missionnaires de saint Bernard, située au-dessus des chapelles royales, se présente comme une grande salle de lecture et de travail très lumineuse. Elle est parquetée en chêne et trois des murs sont garnis de meubles en bois permettant de ranger des livres. La partie inférieure des armoires juxtaposées est fermée par des portes pleines à battant. Elle est plus profonde et moins haute que celle des vitrines avec vantaux grillagés et châssis en bois fermant à clé qui la surmontent. À l’usage, des voiles blancs ont dû être tendus sur les grillages pour mettre les ouvrages à l’abri de la poussière et de la lumière. Le mur qui longe le dôme extérieur, entre les fenêtres aux vitraux dus au peintre-verrier parisien Léon Ottin, est habillé par un meuble reprenant la structure des autres travées avec deux casiers ouverts entre les deux corps d’armoire. Les retombées du plafond papiétées comme les murs dans des tons en accord avec les armoires, les soubassements en lambris, les portes d’accès avec châssis en chêne, panneaux en sapin et impostes, les trois poutres porteuses de la charpente badigeonnées en blanc à l’image du plafond, animent harmonieusement l’ensemble. Des étiquettes manuscrites indiquent que la collection de livres était structurée selon un classement thématique : dogme, morale, théologie …
La conception de cette salle apparaît purement fonctionnelle et utilitaire. Cœur de la Maison natale, elle a un accès direct au balcon qui domine l’intérieur de la « basilique ». [i] Étouffante en journée l’été, d’un confort spartiate l’hiver avec sa modeste cheminée remplacée plus tard par un poêle, elle reste riche d’odeurs, imprégnée de cette atmosphère si particulière des lieux où l’on s’instruit, réfléchit et étudie en silence.
Cette « pharmacie de l’âme[1] » a été imaginée pour les Missionnaires de saint Bernard par l’architecte Paul Selmersheim dans le cadre des restaurations de la Maison natale. L’exécution sur mesure du mobilier et du parquet a été confiée en 1883 au menuisier Philippe Guyot. Avec les trois chambres qui communiquent avec la bibliothèque, l’étage prend la place d’un toit qui avait remplacé, en 1821, une salle d’apparat détruite en 1793 pour en récupérer les matériaux. Les moines Feuillants avait fait une pièce unique du troisième niveau du donjon du château médiéval. Ils l’avaient dotée d’un plafond à caissons aux armes du roi Louis XIII quand celui-ci avait fait de leur établissement un monastère royal. Elle fut probablement leur salle capitulaire au XVIIe siècle.
La bibliothèque des missionnaires a d’abord accueilli le fonds du chanoine Renault qui avait le goût des livres et les avait transmis à ses successeurs copropriétaires avec lui de la Maison natale. Elle s’est enrichie d’une bibliographie bourguignonne léguée par un doyen du diocèse. De leur côté, les missionnaires ont collecté, archivé tout ce qui concernait l’histoire de la maison et de saint Bernard. On ne connaît pas de catalogue mais certains ouvrages étaient rares[2]. Malheureusement, des brocanteurs profitèrent en 1909-1910 de la désorganisation de la maison, liée à une succession mouvementée[3], pour faire main basse sur une partie de la bibliothèque bourguignonne et sur les archives. C’est ainsi que fut perdu le registre de la confrérie de saint Bernard du XVe siècle et un calendrier paroissial du début du XVIIe siècle, qui faisaient partie des archives paroissiales. Ces documents se trouvaient dans la Maison natale parce que le curé de Fontaine, qui était obligatoirement un missionnaire depuis 1879 pour éviter les frictions entre la paroisse et la Maison natale, résidait dans la maison natale[4]. Seuls certains documents manuscrits purent être rachetés[5].
À l’arrivée des Rédemptoristes en 1919, ce qui restait de cette bibliothèque de référence fut transféré par le propriétaire au séminaire situé rue Paul-Cabet. On en perd la trace après le déménagement du séminaire boulevard Voltaire en 1921. Cependant des documents comme l’inventaire du monastère des Feuillants par Louis Gellain qui se trouvait dans la Maison natale à la fin du XIXe siècle ont pu entrer aux archives départementales de la Côte-d’Or par le biais de l’évêché[6]. À leur tour, les Rédemptoristes garnirent les rayonnages d’ouvrages utiles à leur mission dans le diocèse, mais depuis leur départ en 1978 les meubles sont vides et délaissés.
Aujourd’hui, la bibliothèque de la Maison natale est un cadre à l’esthétique particulière et toujours émouvant. Ses boiseries de la fin du XIXe siècle deviennent rares et ne demandent qu’à être remises en valeur et à accueillir une nouvelle collection.
Sigrid Pavèse
[1] L’inscription grecque inscrite au-dessus de la porte d’entrée de la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall en Suisse alémanique.
[2] CHOMTON (abbé), Saint Bernard et le château de Fontaines-lès-Dijon, 1891, I. p.11, note relative à un manuscrit de la Vita Secunda.
[3] Mort de Félix Poilblanc, directeur de la Maison natale, 16 juillet 1909, ; mort de Just de Lalaubie, propriétaire de la Maison natale depuis septembre 1908, décédé le 22 octobre 1909 à Leysin en Suisse.
[4] Archives diocésaines de Dijon, 2P 278, Note du conseil paroissial le 3 avril 1910 transmise à Monsieur de Lalaubie. Lettre de Joseph Massin au curé Rémy du 6 mars 1914.
[5] COLLIN (Lazare), Christian de Bretenières (1840-1914), Dijon, 1923, p. 441.
[6] MOYSE Gérard, Lettre du 30 septembre 1998 à l’auteur. Entrée le 1er octobre 1964 en provenance de l’évêché sous la cote J 2579/3.